LE CAMELOT, UNE VARIATION TEXTILE

Le héros de ce post est le camelot, un tissu dont l’apparence fut au cours des siècles aussi changeante que la météo des plages normandes. C’est peut-être ce qui m’a intrigué et incité à chercher dans cet enchevêtrement de fibres la véritable identité du camelot.

TEL JANUS 

Dès le Moyen-Age, il y eut simultanément deux catégories de camelot si l’on oublie les imitations en laine de mouton mêlée parfois de fils de coton qui jalonnèrent cette production. Ce sont les différentes contrées d’implantation des ateliers qui influencèrent l’approvisionnement en matières premières : poils de chameau et soie en Asie Orientale, sous toison des chameaux de Bactriane et poils de chèvres angora en Asie Mineure.  

SEULE UNE DEFINITION TRES GENERALE S’AVERE POSSIBLE

Le camelot est un lainage plus ou moins fin destiné à l’habillement et la décoration.  

ETYMOLOGIQUEMENT DES HYPTOHESES, PAS DE CERTITUDES  

Camelot serait entré dans la langue française par l’intermédiaire du néerlandais « kamelaar » qui signifie poil de chameau. Cette étymologie parait justifiée puisque, durant une longue période, cette étoffe fut tissée avec différentes sortes de duvet de belle qualité, notamment de sous poil des chameaux de Bactriane.                                                                                                         

Camelot serait une déformation du mot arabe “khamlat“ ou “hamlat“ qui signifie peluche de laine, référence à la surface duveteuse, poilue, douce et laineuse de ce tissu. J’ai consulté bon nombre d’ouvrages qui donnent comme origine de camelot seil el kemel, nom de la chèvre d’Angora.

 “Quant au poil de chèvre, peu ou point d’estat n’en est fait de par deçà, estant le propre du Levant et de la Barbarie, que d’en faire des camelots”, Olivier de Serres In le Littré.                                                   

DE  CAMELOT A CAMELOTE                                                                                                 

L’évolution du mot n’est pas pour me déplaire, bien au contraire. Entre le XIIIe siècle et le XIXe siècle, le terme camelot désigna successivement plusieurs qualités d’étoffes passant d’une étoffe de qualité supérieure voire de luxe à un tissu ordinaire sinon médiocre. L’association  tissu/marchand ambulant est indéniablement liée à l’activité commerciale particulière des colporteurs   qui vendaient, entre autres articles, des étoffes laine prétendument appelées camelot :  généralement de pâles copies de médiocre qualité, ce qui donna lieu à la création du mot camelote. Dans sa version ordinaire, le camelot était une étoffe qui se froissait irrémédiablement. Cet inconvénient fut prétexte à ce proverbe  « Il est comme le camelot, il a pris son pli, c’est-à-dire il est incorrigible »                                                                               

Le saviez vous ? Pourquoi le féminin de camelot, marchand ambulant est une camelote ? Parce que  le sens de camelote serait différent ! Le mot est, en conséquence, considéré comme épicène (mot dont la forme ne varie pas en fonction du  genre) «Une femme-camelot, quoi ! à notre manière, pour magasins sédentaires et patentés» A. Arnoux, Paris-sur-Seine,1939, 

XIIIe SIECLE « LA PUISSANCE ET LA GLOIRE »  DES CAMELOTS DE FAMAGOUSTE         

Pour vivre heureux vivons cachés ! C’est peut être ce que les tisserands chypriotes qui, sous le règne des Lusignan, auraient pû se dire. Au XIIIe siècle, ce royaume multiculturel idéalement situé d’un point de vue commercial, économique et politique en Méditerranée orientale, fut un centre textile très actif. Les croisades eurent  entre autre  effet celui  bénéfique sur le  développement des échanges culturels et commerciaux entre l’Orient et l’Occident. Des ateliers de Famagouste sortaient des  étoffes précieuses et rares qui séduisirent nombre d’amateurs éclairés occidentaux et orientaux. Les camelots  sont les étoffes les plus célèbres des tisserands de l’île. Les livres de commerce du XIVe siècle témoignent du succès des camelots qui, teints de différentes couleurs, étaient exportés vers l’Italie, la France, l’Égypte, les territoires situés au  nord de la mer Noire et de la mer Caspienne jusqu’en Asie centrale, en passant par l’Asie Mineure et, bien sûr, Constantinople qui n’était plus Byzance et pas encore Istambul. Prisés par la noblesse d’Orient et d’Occident en raison de sa texture luxueuse, sa délicate douceur, de sa chaleur bienveillante, cette étoffe fut utilisée aussi bien pour l’habillement que pour la décoration  dans les châteaux et les grandes demeures.


Le saviez vous ? Au fil du temps, avec l’évolution des modes de vie, des tendances de la mode et des préférences esthétiques, la distinction entre les tissus d’habillement et de décoration s’est affinée. Aujourd’hui, il existe un large éventail de textiles spécifiques à chaque domaine, répondant aux besoins particuliers de l’habillement et de la décoration d’intérieur.

PARTAGE DE SAVOIR FAIRE OU ESPIONNAGE ?  

Au Moyen Age, les occidentaux exportaient vers l’Orient des toiles de coton, de lin et de chanvre mais importaient des  soieries, des velours ou des camelots et des toiles imprimées. Percer le secret du savoir-faire des artisans locaux devint une obsession pour bon nombre de manufacturiers occidentaux. 

UNE CONCURRENCE IMPITOYABLE                                                                                                            

Le  déclin des ateliers chypriotes et orientaux se fit sentir au début du XVesiècle, lorsque les artisans génois, vénitiens ou lyonnais qui, après avoir importé ces merveilleux tissus, purent  réaliser eux-mêmes les broderies au fil d’or, le tissage de la soie, les teintures solides et l’impression. Naïfs, les artisans byzantins, chypriotes, ou indiens le furent certainement. 

DU CAMELOT, ETOFFE ROYALE AU CAMELOT/CAMELOTE 

Au XIIIe siècle : 

Le camelot fut introduit dans le royaume de France au titre des produits rares et précieux importés d’Orient. A Paris, la vente de « camelot dit de Tripe » est destiné aux classes sociales aisées. Ce succès entraîna des imitations de moindre prix comme ce camelot de « Rains », étoffe ordinaire proche d’une simple serge bien que le nom subsiste, de quoi tromper le client.  

Au XIVe siècle :

Le camelot était encore un luxe que seuls les rois et les grands seigneurs pouvaient acquérir.  

Le saviez vous ? Un édit de Charles V interdisait aux femmes de basse condition de porter des vêtements fait de drap d’or, de soie ou de camelot. Loi incongrue s’il en fut car laquelle de ces femmes aurait été en mesure de s’offrir ce luxe ? 

Au XVe siècle :

Le camelot se popularise en s’éloignant du luxe ostentatoire ; il se présente comme   une étoffe confortable de laine de mouton, similaire à un satin de laine tissé dans de nombreuses régions.

En Angleterre, on distinguait le camelot et le camlet : le premier était une étoffe ordinaire, un lainage grossier proche de la futaine, destiné à la fabrication de vêtements de travail, alors que le second était une étoffe plus fine, de belle qualité généralement lustrée par calandrage et teinte en rouge.

Au XVIe siècle :

En France, le camelot était un tissu d’ameublement princier, voir royal de doublures aux courtepointes, rideaux, tentures, garniture de lit.

 « Deux escabeaux garnys de camelot de soye blanche de franges et crespine d’or » Inventaire après décès de Catherine de Médicis.

Au XVIIe siècle :

Venise, Florence, Milan exportèrent vers la France des soieries teintes en rouge, cramoisie ou violet figurants sur les registres en tant que  camelot. Ce nom était faussement attribué à des taffetas, des tabis et autres étoffes précieuses, déguisées sous un nom d’emprunt afin de faciliter leur introduction frauduleuse en France et éviter les taxes douanières.

 Au XVIIIe siècle :

Le camelot redevint une étoffe précieuse de laine, de soie et parfois de fil d’or ou de cachemire. On le retrouve dans les inventaires des personnes de « qualité ».

« Dans la salle à manger, nous avons trouvé quinze chaises garnies en camelot, une table… » 1792 Inventaire des meubles du château de Chavanicac.

Au XIXe siècle :

le camelot n’est plus importé, mais il est enfin fabriqué en France dans la région lilloise où il devient, cette fois, une toile de laine qui s’exporta avec succès. C’était une toile de laine commercialisée sous des noms aussi inattendus que nonpareille, polo mille, quintette. A Amiens, il était à carreaux ou ondé et se nommait « bangmers ». Ce tissu fut aussi diffusé sous le nom de camelotin du fait de sa très faible épaisseur et de la médiocrité de sa qualité.

Le camelot faisait partie des étoffes à la mode, si bien que les écrivains s’en servirent pour illustrer leurs propos avec, en arrière pensée, une référence de bon goût.  

« Son manteau de camelot bleu était une antiquité locale au même titre que le clocher de l’église ». Robert Louis Stevenson, Le Voleur de cadavres, 1884

Le camelot figure en bonne place dans le vestiaire de Marguerite Gauthier, héroïne de « La dame aux camélias » publié en 1848. Alexandre Dumas fils décrit en détail sa tenue « Elle avait dans toute sa personne quelque chose de doux et de pénétrant qui me charmait. Sa robe, de camelot blanc, flottait autour d’elle comme une nue et, dessous, on devinait un jupon de soie »

Avec l’avènement de la révolution industrielle, de nouveaux procédés de fabrication furent introduits, permettant la production à grande échelle de textiles, y compris du camelot. Cela a conduit à une plus grande accessibilité du tissu destiné à la fabrication de vêtements d’usage courant. L’idéal eut été de donner un autre nom à ces nouveautés, où n’entraient ni fils d’or, ni fils de cachemire ou de soie mais, dans le meilleur des cas, de la laine de mouton, parfois de qualité très médiocre, mêlée à des fils de coton.

L’image du glorieux camelot est à jamais ternie par des succédanés qui donnèrent naissance à une expression passée dans le langage populaire : vendre de la camelote.

Au  XXe siècle :

Le « camelot » est rarement associé à un type spécifique de tissu. Il s’est banalisé, fondu dans les multiples lainages courant

AU XXIe siècle:

Il disparait des collections haute couture et, que dire des articles de prêt à porter sinon que la liste de noms de tissus se raréfie saison après saison. 

PLAYDOYER POUR LA MEMOIRE DES TISSUS

Et si le camelot est entré dans la légende, c’est aussi et surtout pour sa versatilité. Il a plié sans rompre afin de s’adapter à toutes les modes. Des traces de son prestige d’antan ne subsistent que les listes des inventaires royaux, quelques lignes dans la littérature, mais peu de preuves tangibles ! Les étoffes continuerons d’exister à travers les écrits, les descriptions, les rééditions mais aussi grâce aux passionnés, dont je suis qui sont leur passeurs de mémoire.

Ecrire, c’est un peu tisser : les lettres, en un certain ordre assemblées, forment des mots qui mis bout à bout, deviennent des textes. Les brins de fibres textiles maintenus ensemble par torsion forment des fils qui, en un certain ordre entrelacés, deviennent des tissus…Textile et texte, un tête à tête où toute ressemblance n’est pas fortuite. Il est des civilisations qui transmettent leur culture par l’écriture, d’autres par la parole, d’autres encore, par la parole écrite avec un fil. Entre le tissu et moi, c’est une histoire de famille. Quatre générations et quatre manières différentes de tisser des liens intergénérationnels entre les étoffes et les « textilophiles ». Après ma formation à l’Ecole du Louvre et un passage dans les musées nationaux, j’ai découvert les coulisses des étoffes. Avec délice, je me suis glissée dans des flots de taffetas, avec patience j’ai gravi des montagnes de mousseline, avec curiosité j’ai enjambé des rivières de tweed, pendant plus de 35 ans, au sein de la société De gilles Tissus et toujours avec la même émotion. J’eus l’occasion d’admirer le savoir-faire des costumiers qui habillent, déguisent, costument, travestissent les comédiens, acteurs, danseurs, clowns, chanteurs, pour le plus grand plaisir des spectateurs. J’ai aimé travailler avec les décorateurs d’intérieurs toujours à la recherche du Graal pour leurs clients. Du lange au linceul, le tissu nous accompagne, il partage nos jours et nos nuits. Et pourtant, il reste un inconnu ! Parler chiffon peut parfois sembler futile, mais au-delà des mots, tissu, textile, étoffe, dentelle, feutre, tapisserie ou encore broderie, il est un univers qui gagne à être connu. Ainsi, au fil des ans les étoffes sont devenues des amies que j’ai plaisir à vous présenter chaque mois sur ce blog de manière pédagogique et ludique. Je vous souhaite une belle lecture.

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