LE QIVIUT UN BRIN DE CHALEUR DANS UN UNIVERS GLACÉ

En ce mois d’Aout caniculaire, voici un post réfrigérant ! C’est sous la lourde et rustique fourrure d’un mammifère «préhistorique» que se cache le qiviut.  

Le saviez vous ? Qiviut signifie en inuktitut, langue des inuits, duvet ou laine intérieure en référence à la sous-toison douce et isolante qui couvre la totalité du corps du bœuf musqué, à l’exception des yeux,   lèvres, naseau et sabots. 

UN VESTIGE DE LA DERNIERE ERE GLACIERE

Les ancêtres de ce mammifère herbivore, couvert d’un épais manteau de jarres longs et raides, présents dans les régions arctiques, ont parcouru les plaines d’Europe et les steppes d’Asie avec le mammouth, le mastodonte ou encore le rhinocéros laineux avant de trouver le lieu adéquat pour se poser et se reproduire à l’abri des prédateurs, excepté le plus dangereux d’entre eux : l’homme.

Un carnage :  Celui que les étrangers ont baptisé bœuf musqué constitua, des siècles durant, une ressource à la fois alimentaire et vestimentaire pour les natifs, les baleiniers, les colons et les explorateurs. Mais cette source se tarit peu à peu jusqu’à la limite de l’extinction, une histoire commune avec celle du bison. Au XIXe siècle, plusieurs facteurs concomitants contribuèrent au désastre : le commerce des peaux était si rentable que des malandrins, attirés par le profit, n’hésitèrent pas à abattre des troupeaux entiers d’ovibos. On raconte qu’entre 1862 et 1916 une compagnie canadienne aurait vendu plus de 14.000 peaux. Un autre danger guettait l’animal, celui de la multiplication des expéditions polaires. Le bœuf musqué était une solution incontournable pour nourrir les équipages et les chiens de traineaux. 

La prévention :  à la suite de ces funestes constats, la chasse du bœuf musqué fut réglementée afin de préserver cette ressource vitale pour les autochtones. Seules la viande et la fourrure avaient alors un intérêt, la commercialisation du qiviut n‘était pas encore à l’ordre du jour. Dans les territoires du Nord Ouest et des îles arctiques, la chasse fut interdite ou restreinte. 

Au Groenland, la loi autorise les inuits à chasser le bœuf musqué, les animaux marins dont le narval et l’ours polaire, mais limite le nombre d’animaux sauvages chassés afin de respecter l’équilibre écologique.                                         

Le saviez vous ? Domestiquer ces animaux eut été une autre manière de les préserver tout en exploitant le duvet d’une manière raisonnable. Cette idée fut émise au XIX e siècle par un explorateur pour faciliter l’exploitation commerciale du qiviut, un produit plus valorisant encore que la fourrure. Il fallut attendre 1970 et l’obstination de John Teal pour assister à la création d’une ferme expérimentale en Alaska. Bien que les débuts n’aient pas été concluants (les animaux ont été transportés sur les terres de l’ile voisine de Nunivak où désormais ils prospèrent toujours en toute liberté), les élevages créés au Canada et en Alaska perdurent et le cheptel croit d’année en année.

UNE ATTRACTION TOURISTIQUE

Les safaris photos et autres randonnées pédestres autour des  troupeaux de bœufs musqués qui paissent en liberté dans la toundra aux alentours de Kanger-Lussak font partie des attractions locales. 

UNE IDENTITE PLURIELLE

Il s’agit d’une espèce emblématique de la faune de l’Arctique qui appartient à la famille des Bovidés, étroitement liés aux caprins ovins et bovins, caractérisés par la présence de véritables cornes permanentes et non ramifiées. Adulte, le mâle peut peser une demi-tonne, mais son  précieux duvet, dans le meilleur des cas, dépasse à peine un demi-kilo. Son instinct grégaire l’incite à  vivre en petits groupes appelés hardes, caractérisées par une hiérarchie et une structure sociale complexe.

La complexité physique de cet animal se retrouve dans la variété de ses noms et surnoms.

Communément, le bœuf musqué : En 1720, Nicolas Jérémie, explorateur et négociant en fourrure, découvrit un animal encore inconnu des européens qu’il décrit ainsi «un espèce de bœuf que nous nommons Bœufs musquez  à cause qu’ils sentent si fort le musc que, dans certaines saisons de l’année, il est impossible d’en manger».

Le saviez  vous ? L’odeur de musc dégagée par le bœuf musqué peut être assez puissante pour être perçue à distance. Elle peut être utile pour la reconnaissance des individus dans leur environnement ainsi que pour délimiter les territoires, surtout dans les régions où les ressources alimentaires sont rares, et pour maintenir la hiérarchie sociale au sein du groupe.

Scientifiquement ovibos moschatus  

Si son physique rappelle celui du bœuf, toutes proportions gardées, il  ne correspond pas à son ADN. Malgré son nom, il est plus proche du mouton et de la chèvre que du bœuf. 

 Localement Oomingmak ou «l’animal dont la fourrure ressemble à  une barbe» en inuktitut, ce qui est une évidence si l’on en juge par son physique avec sa crinière hirsute composée de poils longs et raides qui encadrent son cou et son visage. L’impression de barbe est alors flagrante. Une autre caractéristique physique étonnante : La lourde et longue toison externe si protectrice masque quasiment les pattes qui, elles, sont très courtes. Ceci ne serait qu’anecdotique si, en hiver, les couches de neige n’étaient pas si épaisses… Courir dans cet environnement pour échapper aux chasseurs se révèle une expérience très périlleuse qui fait t de l’ovibos une proie facile pour les prédateurs.

ovibos moschatus  

LE QIVIUT, UN BRIN LUXUEUX  

Le précieux duvet soyeux, fin, doux, léger, plus dense en hiver qu’en été, est protégé par l’épaisse fourrure composée de jarres. Si cette dernière est permanente, le qiviut, quant à lui, se détache partiellement de la peau lors de la mue de printemps. Cette mesure de préservation de l’espèce a pour conséquence une production faible et aléatoire qui ne peut satisfaire que le commerce de luxe qui mise sur la qualité et la rareté et non sur la quantité et la régularité du produit.  

Au XVIIIe siècle, un succès d’estime mais un flop commercial

Nicolas Jérémie, ce négociant en fourrures subjugué par les qualités thermiques du qiviut, rapporta des échantillons en France où il fit confectionner une paire de bas plus fins que ceux tricotés en soie, mais, parmi les conseillers de Louis XV, aucun ne perçut le potentiel commercial d’un tel article.  

Au XXe siècle, le marketing joue et gagne  

Depuis quelques décennies, la laine de qiviut est devenue un « must » d’un point de vue économico-culturel pour les inuits qui, dans les rares points de vente du Groenland, vendent celle-ci et les produits finis.  

ENTRE TRADITION ET INNOVATION                                                                     

Tradition: Ce duvet était un article utilitaire pour les peuples autochtones de l’Arctique qui l’utilisaient pour rembourrer les anoraks ; les articles tricotés ou tissés étaient plus rares. 

Innovation : Ce n’est que depuis quelques décennies que la laine qiviut est devenue un produit très convoité par une clientèle internationale intéressée par les fibres naturelles, les produits artisanaux et les matériaux durables. Le prix du qiviut atteignant des sommets, incita les inuits à commercialiser le duvet sous forme de produits finis : fil à tricoter, écharpes, gants ou bonnets. C’est ainsi que j’ai passé un long moment dans la jolie boutique (la seule à l’époque) de Sisimiut, hésitant entre une paire de gants ou un bonnet. Finalement, mon choix se porta sur une pelote de qiviut vert émeraude transformée depuis en un tour de cou fabuleusement doux et chaud.  

Si l’industrie n’est pas en mesure d’exploiter ce filon, certains  entrepreneurs furent tentés par l’aventure de faire entrer la laine de qiviut dans leur collection. 

Le must du must, le Dormeuil Vanquish II, «un cocktail signature», une symphonie de matières plus mélodieuses les unes que les autres, un régal lors des premiers frimas annonciateurs de l’automne : pashmina, vigogne et qiviut ! Pour moi c’est sans doute le lainage le plus fabuleusement exquis jamais sorti d’un métier à tisser ! Un rêve pour la textilophile que je suis.                                                            

LA MAGIE DE LA NATURE                                                                                        

La double toison de l’ovibos est une isolation intelligente qui s’adapte naturellement à la température extérieure, permettant à l’animal de réguler sa température corporelle qui demeure constante, quelles que soient les conditions climatiques.  

LA RECUPÉRATION DU QIVIUT : UN JEU MAIS DE PATIENCE                                                                              Contrairement à la laine de mouton, le qiviut est pauvre en lanoline et en suint ; c’est pourquoi l’oomingmak ne peut être tondu comme le prouve cette mauvaise expérience survenue en 1910 au zoo du Bronx : un jeune bœuf musqué fut tondu et, quelques jours plus tard, il mourut d’une pneumonie.                                                                                                                                                                                                                                                                                   Costume d’hiver : la fourrure, manteau permanent, est une première barrière thermique et le duvet est une isolation éphémère supplémentaire nécessaire pour affronter les températures extrêmes de l’Arctique. Mais techniquement, lesjarres et le duvet d’hiver très dense ont une autre utilité : celle d’ empêcher les brindilles, épines et parasites d’atteindre la peau de l’ovibos, abimant ainsi le duvet et blessant l’animal. Le duvet d’hiver, très qualitatif, est récupéré par brossage ou peignage manuel à l’aide d’outils spéciaux afin d’éviter d’endommager les fibres. Ce travail s’effectue sur les animaux  domestiqués ou sur les peaux prélevée sur les animaux morts.                                                                                                                                Costume estival : plus léger, il se caractérise par une mue partielle. L’oomingmak ne supportant pas la chaleur, au fur et à mesure que la température s’élève au dessus de 0°, il doit se débarrasser de son  duvet. Une partie se détache naturellement de la peau. Le bœuf musqué doit se frotter aux arbustes épineux pour parfaire cette tenue d’été. Il laisse sur son passage des touffes de duvet accrochées aux broussailles qui seront « cueillies » avant d’être nettoyées, triées et filées. D’hiver ou d’été, le qiviut reste un produit rare et très convoité.                

Le saviez vous ? Seule une infime partie de la production est filée et tissée sur place par les inuits. Le duvet est envoyé pour partie au  Pérou pour y être filé, puisque il y a des filatures équipées de machines  aptes au filage des fibres fines comme celle de la vigogne. Plusieurs entreprises européennes sont aussi mises à contribution.                                                                                                               

UNE FIBRE  « AU POIL »                                                                            

Quelle que soit la saison, le costume est adapté au climat grâce aux  propriétés thermiques et sensorielles de cette sous toison.                                                                                

Imperméabilité « à tout crin » : sa densité empêche l’humidité de pénétrer jusqu’à la peau, prévenant un éventuel refroidissement.                                                             

Isolation thermique exceptionnelle : Le qiviut est l’une des fibres naturelles les plus isolantes au monde, environ huit fois plus chaude que la laine de mouton.                                                                                

Finesse : entre 11 et 17 microns. Cette finesse nécessite le mélange  avec un fil de mérinos ou de soie pour être plus facilement travaillé.                                                                               

Elasticité : nulle. Par conséquent, les articles tricotés ou tissés ne rétrécissent pas au lavage et ne feutrent pas.                                                                                  

Légèreté :  fibre creuse, elle emmagasine davantage d’air, améliorant l’efficacité de l’isolation thermique. L’air piège la chaleur corporelle et empêche le froid de pénétrer.                                                                                                            

Le saviez vous ? environ 800g de laine de mouton sont nécessaires, pour tricoter un pull ; pour le même article, moins de 100g de qiviut suffisent.                                                      

Résistance à l’usure : plus solide que la laine de moutons.                                 

Régulation de l’humidité : similaire aux autres fibres naturelles, le qiviut est capable de réguler l’humidité en absorbant l’excès de transpiration tout en conservant la chaleur.                                                                  

Hypoallergénique : une tolérance qui ravit les personnes allergiques aux autres laines en raison de sa structure et de la composition chimique de ses protéines.                                                     

Teinture : La laine de qiviut accepte bien la teinture et conserve des couleurs vives.                                                                                                                                                                                            

EN APARTÉ : Cet animal fut une belle découverte. J’ai été bluffée par la haute technicité thermique de la protection vestimentaire de ce mammifère qui n’a pas coupé tous les liens qui le relie au monde des dinosaures et des mammouths laineux. En conclusion de ce post, je puis affirmer que la qualité exceptionnelle du qiviut n’est en rien usurpée.

Ecrire, c’est un peu tisser : les lettres, en un certain ordre assemblées, forment des mots qui mis bout à bout, deviennent des textes. Les brins de fibres textiles maintenus ensemble par torsion forment des fils qui, en un certain ordre entrelacés, deviennent des tissus…Textile et texte, un tête à tête où toute ressemblance n’est pas fortuite. Il est des civilisations qui transmettent leur culture par l’écriture, d’autres par la parole, d’autres encore, par la parole écrite avec un fil. Entre le tissu et moi, c’est une histoire de famille. Quatre générations et quatre manières différentes de tisser des liens intergénérationnels entre les étoffes et les « textilophiles ». Après ma formation à l’Ecole du Louvre et un passage dans les musées nationaux, j’ai découvert les coulisses des étoffes. Avec délice, je me suis glissée dans des flots de taffetas, avec patience j’ai gravi des montagnes de mousseline, avec curiosité j’ai enjambé des rivières de tweed, pendant plus de 35 ans, au sein de la société De gilles Tissus et toujours avec la même émotion. J’eus l’occasion d’admirer le savoir-faire des costumiers qui habillent, déguisent, costument, travestissent les comédiens, acteurs, danseurs, clowns, chanteurs, pour le plus grand plaisir des spectateurs. J’ai aimé travailler avec les décorateurs d’intérieurs toujours à la recherche du Graal pour leurs clients. Du lange au linceul, le tissu nous accompagne, il partage nos jours et nos nuits. Et pourtant, il reste un inconnu ! Parler chiffon peut parfois sembler futile, mais au-delà des mots, tissu, textile, étoffe, dentelle, feutre, tapisserie ou encore broderie, il est un univers qui gagne à être connu. Ainsi, au fil des ans les étoffes sont devenues des amies que j’ai plaisir à vous présenter chaque mois sur ce blog de manière pédagogique et ludique. Je vous souhaite une belle lecture.

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