DU BUREAU À LA BURE

UNE ALLEGORIE DE L’AUSTERITE MONACALE

La bure fait partie des étoffes qui ont une histoire voire des histoires. Sans faillir, cette vilaine toile de laine s’est acquittée de la mission délicate de vêtir les plus démunis des siècles durant. Cependant c’’est dans un univers mystique qu’elle s’est forgée une image avec la légendaire robe ou froc de bure des moines franciscains, répondant au précepte de pauvreté prôné par Saint François.

DEFINITIONS

Bure «étoffe de laine très brute et très grossière ayant un vilain poil, point croisé et de fort petit prix, son usage le plus ordinaire est pour habiller les pauvres gens»

Furetière 1690. «Grosse étoffe de laine, de coloration brune, dont on se sert pour la confection des vêtements de certains ordres religieux» in Larousse XX e siècle.

UNE ETYMOLOGIE INCERTAINE

Les origines du mot, réelles ou supposées sont nombreuses :

-du haut allemand Bür habitation rurale issu de l’ indo-européen bhû, « croître, bâtir ». qui donne Bauer, paysan habitant la bür.

La bure un abri pour le corps ? l’habit n’est-il pas la maison où le corps peut se blottir ? Capillotracté ? Je l’admets, mais ce n’est qu’une hypothèse de plus. C’est par l’intermédiaire des Vikings que ce terme fut introduit en Normandie où l’ont trouve des villages comme Bures-sur-Dives et plus loin Bures-sur-Yvette

-du latin burrus, roux, du grec purros, couleur feu. La couleur se rapprochait du ton fauve virant au marron. Cet étymon est commun au bureau.

-du latin bura « tissu de laine brute et velue.

-de burel qui désigne des laines grises, brunes ou noires

-de bourre. puisque le tissu était fabriqué avec des déchets de laine qui restent après les différentes opérations (filage, peignage, foulonnage), ou avec des brins trop courts délaissés pour les tissages de qualité. Il n’y a pas de secret la qualité à un prix.

SIMPLE QUESTION D’ANTERIORITE

Le bureau et la bure étaient des étoffes similaires, en laine de médiocre qualité et de prix modique, seule la date de leur commercialisation permet de les différencier. A partir du XI e siècle, il est fait mention de bureau dans les inventaires après décès mais, au fil des ans et des usages, ce l’atelier des tisserands à celui des ébénistes, puis aux cabinets d’architectes. mot migra de Ainsi, l’usage du mot bureau dans son acception textile tomba en désuétude au XIVe siècle avant de disparaître totalement.

QUI VA A LA CHASSE PERD SA PLACE

La place laissée vacante par le bureau dans fut rapidement comblée par la bure, article qui par sa modestie, joua avec subtilité sur deux tableaux : laïc et religieux.

UN TISSU POPULAIRE

Au XIIIe siècle en Occident, la garde robe des classes populaires était réduite à quelques pièces dont la principale était une pèlerine à capuchon taillée dans un grossier lainage de qualité incertaine et de teinte indéfinie sans doute due au mélange de fibres marrons, beiges et blanchâtres. La bure avait de quoi séduire, non pas par son aspect physique, mais par son prix modique; Pour assurer un minimum de protection, le tissu était foulé afin d’augmenter son épaisseur, sa solidité et lui octroyer une certaine imperméabilité.

Le saviez vous? Au Moyen Age la laine était foulée aux pieds, les ouvriers piétinaient des métrages de lainage déposés dans des cuves remplies d’eau chaude additionnée de substances aidant au rétrécissement et au feutrage.

QUAND L’HABIT FIT LE MOINE

La tenue des capucins, robe de bure et long capuchon pointu, cordelette à trois nœuds en guise de ceinture et sandales, est un héritage de Giovanni di Pietro Bernardone (1182-1226) futur saint Francois d’ Assise. Par l’adoption d’un vêtement misérable il marque l’abandon de son mode de vie bourgeois, l’éloignement du costume laïc aux matières douces et colorées. En « prenant l’habit », les moines indiquent qu’ils partagent des valeurs communes, signifient leur appartenance à un groupe, en l’occurrence celui des frères franciscains.

UN CHOIX PAR NECESSITE ET NON PAR HASARD

Fils d’un drapier d’Assise, le futur Saint se familiarisa très tôt avec les étoffes et la teinture. C’est donc en pleine conscience qu’il fit le choix de la bure, tissu vil et bien peu aimable, utilisé notamment par les paysans d’Ombrie. l’ancien bas francique hrokk habit, tunique.

LE RENONCEMENT

Pour marquer son abandon de sa vie antérieure il déambulait dans la ville enveloppé de guenilles lui qui, jadis, portaient de riches habits de laines outrageusement colorés.

« Il la prépare toute rude, pour crucifier en elle sa chair avec les vices et les péchés ; il la prépare enfin toute pauvre, grossière et telle que le monde ne puisse en rien la convoiter » (Thomas de Celano).

ENTRE MYSTICISME ET FONCTIONNALITÉ L LE COSTUME EST UN BAVARD MUET

L’idée de Saint François d’Assise de se détourner du luxe de la société civile par la couleur et la matière de l’habit a été quelque peu contrariée d’abord par les habitants d’Assise qui baptisèrent cappuccino une boisson dont la couleur rappelle celle de la bure des capucins.puis en 2001, lorsque les franciscains d’Assise firent appel à une styliste pour le renouvellement de leur tenue. Le projet qui proposait une tunique en laine douce, gris foncé et agrémentée d’une poche spéciale pour le portable fut adoubéI.

LE COSTUME EST UN BAVARD MUET

De l’italien coutume, l’étymologie même de costume est un indice. Le costume se conforme aux « habitudes » en vigueur dans une région ou dans un groupe. L’habit des moines est un outil. qui incarne aux yeux de tous la soumission à l’autorité, le respect des règles fixées l’ordre de franciscains. Le costume devient alors un outil de communication.

QUAND LHABIT NE FAIT PLUS LE MOINE

« Mais il ne faut pas considérer si légèrement les œuvres des hommes. Car vous- mêmes vous dites que l’habit ne fait pas le moine, et tel est vêtu d’un froc qui au- dedans n’est rien moins que moine, et tel est vêtu d’une cape espagnole qui, dans son courage, n’a rien à voir avec l’Espagne… » François Rabelais, Gargantua.

Le saviez vous ? François Rabelais endossa le froc de bure couleur puce des frères franciscains avant de le jeter aux orties et d’enfiler l’habit noir des moines bénédictins, un ordre dont les préceptes semblaient mieux lui convenir.

LA BURE UNE ETOFFE NON HOMOLOGUEE

En Europe, depuis le moyen âge, les tisserands sont soumis à des règles strictes qui ne semblent pas s’appliquer à la bure, puisque qu’elle n’apparait pas nommément dans les règlements officiels des manufactures. La nature ordinaire des matériaux et son prix modeste en firent un paria.(du tamoul parayan homme de la dernière caste).

UNE ETOFFE AUX MESSAGES SUBLIMINAUX

– Révolutionnaire : au XVIIIe siècle, l’image populaire de la bure est renforcée lorsque les « sans culottes » taillent leurs pantalons dans une bure unie ou rayée pour se différencier des nobles qui portent culottes de drap fin et bas de soie.

– Economique : au XIXe siècle, la bure est toujours un tissu de peu de valeur. En 1808, à l’initiative de Pierre-François Percy, fut créé un bataillon de soldats asujetti au service de santé. Infirmiers et ambulanciers portaient des tenues taillées dans une bure brune grossière mais économique.

– Qualitatif : il était de notoriété publique que, pour diminuer le prix de la bure, certains tisserands mélangeaient à la bonne laine des déchets de laine (bourre, tontisse ou tonture) tombés lors des diverses opérations depuis le cardage jusqu’au tissage. C’est donc très officiellement qu’à Dreux il y avait des bures loyales, fabriquées à partir de bonne laine et dont le prix était plus élevé que , les «bures bourrières » de Thivilliers tissées à partir de bonnes laines mêlées d’un grand pourcentage de bourre, vendues sans garantie de qualité mais à vil prix.

A LA LITTERATURE LE BUREAU

Il semble que le bureau ait été source d’inspiration pour les poètes alors que la bure fut elle magnifiée par des peintres.

«Mieux vaut vivre sous gros bureau, pauvre, qu’avoir été seigneur et pourrir sous riche manteau» François Villon

« Bureau vaut bien escarlate » H.Estienne

« Panurge print quatre aulnes de bureau et s’en accoustra comme d’une robe longue » In les moutons de Panurge Rabelais (1494-1532).

A LA PEINTURE LA BURE

Si nous devions nous faire une idée de ce que fut la nature de la du froc de frères franciscains uniquement à travers le filtre de la perception d’artistes comme Zurbaran, je pense que nous serions induits en erreur. Peintre mystique subjugué par les matières textiles, il parvint dans ses portraits de l’initiateur de l’ordre des franciscains, qu’il soit en extase ou en prière, à magnifier la misérable bure au point d’en faire le sujet principal de la toile. Seul le visage éclairé par une énigmatique source lumineuse émerge du volumineux capuchon, et par sa maitrise des couleurs il su rendre à la bure qui occupe la quasi totalité de l’œuvre. sa disparité chromatique.

LES NUANCES DE LA PAUVRETE

Les ordres religieux chrétiens possèdent un code vestimentaire et chromatique distinct, les capucins ont fait le choix d’une gamme sombre sans couleur définie. « ni couleur niger, ni albus ni même giseus ». Qu’il s’agisse de bureau ou de bure, le vêtement monastique se portait jusqu’a l’usure, rapiécé au besoin. La tenue des moines fut d’abord plus grise que brune, ce qui explique que les moines franciscains sont des Greyfriards en Angleterre. Le froc ne fut officiellement brun qu’au XIXe siècle.

Le saviez vous ? Jusqu’au XVIIIe siècle, les étoffes les plus ordinaires étaient commercialisées dans des tonalités sombres, sans doute pour masquer la présence de puces dont les couleurs pouvaient se confondre avec celles des étoffes. Notons que la couleur puce eut un joli succès. Certaines femmes disposaient d’un piège à puces, une pièce de flanelle posée sur la poitrine censée attirer les parasites et, lorsque le piège avait bien rempli ses fonctions, le tissu était mis dans la lessive annuelle

LES TRIBULATIONS VOCABULISTIQUES D’UNE ÉTOFFE

Une immersion dans les coulisses de termes qui ont un rapport proche ou lointain avec la bure, témoigne des multiples vies des mots et les choses La bure a laissé plus de trace dans le domaine du vocabulaire international que dans celui de la mode. Si la langue française, si riche habituellement, n’utilise qu’un seul et même mot pour le tissu, le meuble et la pièce, il en va différemment : en anglais qui propose Monkcloth pour le tissu, Desk pour le meuble et Office pour la pièce, en allemand Mönchskutte pour le tissu, Sreibetish pour le meuble, Büro pour la pièce, en italien panne di monaco chiffon, ufficio pour la pièce, scrivania pour le meuble.

Au Moyen Age rares étaient les moines copistes qui avaient du mobilier adapté à la fonction. En général les supports bancs, coffres, pierres étaient inconfortables Afin d’améliorer leurs conditions de travail certains moines utilisèrent les chutes de bureau, tissu utilisé pour tailler leur habit, pour couvrir les supports à

L’idée se généralisa dans le monde laïc. Un meuble couvert d’ un métrage de bureau devenait un plan de travail fonctionnel Au XIVe siècle, le bureau, n’était qu’une sorte de tapis de table, au XVII il donna son nom au meuble qu’il recouvrait.

Ainsi, « J’ai été la première femme qui ait eu un bureau ce l’on critiqua beaucoup d’abord et ensuite presque toutes les femmes en eurent » in Les mémoires de Mme de Genlis (1746-1830).

LE DESSOUS DES TABLES

Au XVe siècle, si les chiffres arabes étaient connus en Occident, ils n’étaient pas encore utilisés pour compter. L’outil utilisé était l’abaque, sorte de boulier (du latin abacus tablette et du grec abakos table de calcul). Dans de nombreuses civilisations, le calcul se faisait à l’aide de cailloux ou de pièces de métal circulaires, ou jetons. Tout cela se faisait dans un joli bruit, les jetons s’entrechoquant ou roulant sur la table et tombant sur le sol.

Le saviez vous ? L’usage de jeter les pièces en cuivre ou en laiton sur la table est à l’origine du mot jeton.

Les comptables manipulaient des écus «monnaies sonnantes et trébuchantes » pesées à l’aide d’un trébuchet, balance qui permettait de déceler grâce au poids, les fausses pièces.

Compter sur une surface couverte de bureau améliorait le confort phonique. La protection des meubles était assurée contre les tâches d’encre et les rayures, tout comme les reliures des livres.

La surface nue de la table, sur laquelle on posait l’abaque qui servait à compter, fut baptisée comptoir mais, lorsque le comptoir et autres meubles recouverts de bureau servaient à écrire, ils devinrent un bureau.

Le bureau devint un meuble plat avec ou sans tiroirs sous le plateau, sur lequel on écrit. En général il y a dessous un espace vide pour les jambes.

Le secrétaire, est un meuble qui doit « taire les secrets ». Les documents y sont en sécurité puisqu’il se ferme à clé. Un abattant situé à mi hauteur en se déployant sert d’écritoire.(Ce meuble ne laisse pas d’espace vide sous l’ abattant pour passer les jambes).

Par la suite, le bureau devient la pièce où se trouve le meuble, le secrétaire deviendra un métier de bureau. La personne en charge du secrétariat est le ou la secrétaire une personne de confiance qui détient les secrets de l’entreprise ou de son employeur.

VARIATIONS SUR UN MOT

Au XIe siècle, on se vêt de bureau, au XIIIe siècle le bureau sert de » couverture » au XVIIe siècle, on se met au bureau, au XIXe siècle on va au bureau, au XXII e siècle, le bureau sous toutes ces formes existera-t-il encore ?

En 2022, en France, les quelques rares producteurs de bure ne travaillent que pour honorer les commandes passées par des institutions religieuses et, exceptionnellement, pour des créateurs de costumes d’Opéra, de théâtre ou de cinéma.

Ecrire, c’est un peu tisser : les lettres, en un certain ordre assemblées, forment des mots qui mis bout à bout, deviennent des textes. Les brins de fibres textiles maintenus ensemble par torsion forment des fils qui, en un certain ordre entrelacés, deviennent des tissus…Textile et texte, un tête à tête où toute ressemblance n’est pas fortuite. Il est des civilisations qui transmettent leur culture par l’écriture, d’autres par la parole, d’autres encore, par la parole écrite avec un fil. Entre le tissu et moi, c’est une histoire de famille. Quatre générations et quatre manières différentes de tisser des liens intergénérationnels entre les étoffes et les « textilophiles ». Après ma formation à l’Ecole du Louvre et un passage dans les musées nationaux, j’ai découvert les coulisses des étoffes. Avec délice, je me suis glissée dans des flots de taffetas, avec patience j’ai gravi des montagnes de mousseline, avec curiosité j’ai enjambé des rivières de tweed, pendant plus de 35 ans, au sein de la société De gilles Tissus et toujours avec la même émotion. J’eus l’occasion d’admirer le savoir-faire des costumiers qui habillent, déguisent, costument, travestissent les comédiens, acteurs, danseurs, clowns, chanteurs, pour le plus grand plaisir des spectateurs. J’ai aimé travailler avec les décorateurs d’intérieurs toujours à la recherche du Graal pour leurs clients. Du lange au linceul, le tissu nous accompagne, il partage nos jours et nos nuits. Et pourtant, il reste un inconnu ! Parler chiffon peut parfois sembler futile, mais au-delà des mots, tissu, textile, étoffe, dentelle, feutre, tapisserie ou encore broderie, il est un univers qui gagne à être connu. Ainsi, au fil des ans les étoffes sont devenues des amies que j’ai plaisir à vous présenter chaque mois sur ce blog de manière pédagogique et ludique. Je vous souhaite une belle lecture.

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