LE BOGOLAN, UN TISSU DU PASSE AU PRESENT

 LA VERTU DES IMPONDERABLES

Mon intérêt pour le bogolan  est né de ma rencontre avec un petit  morceau d’étoffe qui s’était égaré sur l’étal d’un brocanteur normand. M’attendait-il ? Peut-être ! Son acquisition m’incita à le découvrir sous toutes « ses coutures ». Ce post est l’occasion, de partager avec vous le résultat de mes recherches.

UN TISSU DE BOUE 

La forte empreinte identitaire du bogolan artisanal résulte de la transmission   des techniques de tissage et de teinture, de l’authenticité des matériaux  utilisés et enfin de la part de mysticisme véhiculée à travers les motifs du décor. Le  véritable bogolan  ne se laisse pas aisément apprivoiser, et c’est là sa force !

Tissu Bogolan

L’ENVERS DU DÉCOR IMPRIMÉ

Aujourd’hui hors de son contexte originel, le bogolan est devenu synonyme de motif imprimé industriellement sur des supports textiles aussi différents que le lin ou le polyester. Son succès commercial  international a permis de moderniser l’ image d’un tissu à connotation ethnique. Le bogolan en tant que motif occupe en 2022 une place significative dans la décoration d’intérieur occidentale.

MES EMOTIONS SENSITIVES

Sous les doigts, la toile de coton, épaisse et irrégulière transmet l’aridité du climat, la lourdeur d’un trait ou la virtuosité d’un motif dénotent la présence humaine, l’œil perçoit les  subtilités de l’agencement des motifs qui entre ombre et lumière écrivent des histoires. J’aime cette étoffe pour son histoire, son humanité, sa pérennité. Ces  bandes de tissu assemblées pour construire un tout transmettent entre leurs fibres un héritage, à la fois cultuel et culturel, intense.

UN JUDICIEUX EQUILIBRE ENTRE L’HOMME ET LA NATURE 

Le bogolan plonge les amateurs d’histoires textiles dans un univers éloigné des stéréotypes modernes. C’est un mode d’expression qui mélange nature et créativité humaine.

LA TERRE ET LE GESTE

L’étymologie est « parlante » puisqu’en langue Bambara, bogo est la boue, l’argile ou la terre et lan signifie mettre ou encore poser, d’où l’idée de « fait avec l’argile ou la terre», en l’occurrence une boue, riche en oxyde de fer.

UNE LECTURE A DEUX NIVEAUX

Sur le plan visuel, l’imbrication des lignes, le rythme créé par les zones claires et obscures, la force des traits laissent l’imagination des occidentaux se perdre dans les dédales d’une œuvre d’art abstraite. Sur le plan ethnologique, c’est un cheminement spirituel dans lequel les motifs et la teinture sont des symboles accessibles ou pas ! C’est là toute l’ambiguïté et le charme des étoffes patrimoniales.

DU FIL AU BALASANFINI

Le coton brut est égrené cardé avant d’être est filé manuellement au fuseau. Le fil blanc, beige ou gris, est ensuite tissé en bandes étroites dont l’épaisseur est définie par l’usage :  pour les pagnes, la souplesse est préférable ; pour les tapis, le tissage est plus grossier et le tissu plus lourd.

Afin d’obtenir une pièce de tissu assez large pour servir de tenture, de tapis ou de pagne, les bandes de tissu (entre 7 et 10, ont une largeur qui varie de 5 à 15 cm) sont cousues grossièrement les unes aux autres. Le panneau est ensuite plongé dans l’eau de décoction de feuilles, de racines et de différentes plantes et prend une teinte jaunâtre. mais i le jaune est trop pâle un second bain peut être envisagé. Le balasanfini est suspendu à une corde et sèche au soleil.

Le saviez vous ? Pourquoi assembler les bandes par des coutures lâches, à grands points ? Pour éviter de rigidifier la pièce de tissu.

QUESTION DE VOCABULAIRE

Un tissu constitué de plusieurs bandes étroites de toile de coton, teint en jaune (dans une décoction de  feuilles de n’galama un arbre proche de nos bouleaux) peut devenir un pagne ou Basilanfini qui, teint et décoré avec des pigments minéraux (argile); devient un Bogolanfini.                                   

Le saviez vous? Les feuilles du n’galama sont utilisées pour leurs propriétés tinctoriales mais aussi pour leurs vertus médicinales, notamment antiseptiques, d’où le surnom donné localement au basilianfini = medicine cloth ou tissu médicament. Etrangement, il semblerait, aux dires des anciens, que ce phénomène soit transmis lors de la teinture dans le basilian et dans le bogolan, ce qui fait entrer une part de magie dans le tissu.

L‘UNION FAIT LA FORCE

Le bogolan est une étoffe mais aussi une technique de teinture qui n’existerait pas sans son acolyte le basalanfini qui sert de réactif à la boue ferrugineuse qui, en séchant, devient noir. Le dicton malien traduit cette idée « le tissu teint à partir des plantes tinctoriales est plus ancien que celui décoré avec l’argile ».

Le saviez vous ? Ce n’est qu’une fois teint que bogolan devient bogolanfini, c’est-à-dire une étoffe teinte ? Les anglo-saxons utilisent le terme mudcloth.

DE L’ARGILE A LA BOUE

Il existe deux techniques pour préparer  l’argile grise récoltée dans les marigots ou dans le lit du fleuve Niger. La première, consiste à laisser fermenter l’argile  mélangée à du son de mil pendant plusieurs jours dans des jarres mises en terre. Parfois, des clous rouillés sont ajoutés afin d’accélérer l’oxydation. La seconde est plus rapide, plus simple mais les résultats sont moins performants : l’argile est ramassée et appliquée immédiatement sur le basilanfini.

LES FORCES VITALES

A l’origine, l’usage des pagnes était, certes, codifié par les motifs, mais c’est la terre qui fit la part des choses. Les croyances tribales octroyaient une force surnaturelle à la boue qui recouvre les fonds des marigots sacrés, lieux dits où reposent les âmes de leurs ancêtres. Le bogolan serait donc tout naturellement par imprégnation, à la fois le dépositaire et le passeur des forces vitales ou Nyama, transmises par les ancêtres, et protégerait ceux qui le portent, en cas de perte de sang (les femmes enceintes, les chasseurs, les guerriers, les guérisseurs…).

LA SYMBOLIQUE DU FIL SANS FIN

Pour certaines populations, l’adoption du vêtement drapé était éloignée de son bien fondé esthétique. Le fil continu de chaîne était comme celui des Parques, assimilé à celui de la vie ; aussi, le sectionner pour faire un vêtement coupé et cousu était une faute.

TANIN – FER – COTON : LE SECRET DE LA REUSSITE

Le bogolan naquit de la rencontre fortuite entre l’argile grise ferrugineuse, les feuilles riches en tanin et en oxyde de fer et une fibre  végétale.

Une légende malienne raconte qu’une femme ayant salie son vêtement teint en jaune par une décoction de feuilles de n’galama avec la boue grise d’un marigot, fut dans l’impossibilité de faire disparaître cette tache, devenue noire et indélébile en séchant. Cet incident révéla aux anciens les capacités tinctoriales du mariage de la boue et des feuilles de n’galama.

UN GESTE POUR LA PLANETE

Un bilan carbone zéro, car tous les ingrédients nécessaires à la fabrication du bogolanfini se trouvent au Mali et dans les régions avoisinantes : l’argile, une végétation tinctoriale, une eau parfaitement adaptée, la culture du coton et une fabrication artisanale avec un outillage rudimentaire, sans compter ce savoir faire  trans-générationnel. Le seul bémol se situe au niveau des exportations qui génèrent une rentrée de devises pour le Mali mais augmente le bilan carbone.

A CHACUN SA MISSION

La  production de bogolan s’est développée dans les campagnes où les activités  quotidiennes réclamaient force et endurance, alors que filature, teinture, dessins, ne demandaient que patience, habileté et savoir faire. Cette production fut donc dévolue en priorité aux femmes âgées ou aux très jeunes filles. Seul le tissage, était le domaine réservé aux  hommes. Chaque région, chaque village, chaque ethnie possède son vocabulaire, ses secrets de teinture. C’est pourquoi l’origine d’un bogolan est décelable par des détails, que seuls les professionnels, amateurs avertis ou collectionneurs passionnés sont en mesure de percevoir : les teintes, le vocabulaire décoratif, la disposition des motifs…

Le saviez vous ? Cette activité était un moyen de subsister et de vêtir la population villageoise lorsque la saison des pluies rendait les travaux des champs impossibles.

EN NOIR ET BLANC

Le processus de transformation du basilanfini en Bogolanfini, long et complexe,  se rapproche plus de l’impression que de la teinture. L’artisan devient un artiste devant la toile vierge. C’est armé de beaucoup de patience et d’expérience qu’il trace son premier trait de boue ferrugineuse sur la toile. S’offrent à lui plusieurs solutions, dessins blancs ou noirs réalisés à main levée. Une technique qui donne à l’exécutant l’occasion de s’exprimer librement, toutefois sans possibilité de repentir. Les opérations successives sont identiques : pose de l’argile, séchage, lavage afin d’éliminer l’excédent de boue et l’odeur peu agréable de l’argile fermenté puis, à nouveau, séchage. Seul l’outillage est différent.

L’usage du pochoir permet de peindre les motifs, facilite l’exécution, augmente le rendement, diminue autant le prix de vente que la qualité.

L’impression industrielle s’est développée pour répondre à la demande d’une clientèle étrangère physiquement et culturellement différente. La qualité est fonction, cette fois, du type de support (coton, lin ou polyester) et de la finesse des motifs.

L’ENVERS DU DECOR

Comme pour l’impression, l’envers d’un bogolanfini demeure identique à la couleur initiale de la toile avant le dépôt de l’argile, entre le blanc cassé et le jaune. L’envers n’est jamais décoré.

UN, DEUX, TROIS…. COULEURS !

L’argile ne sert pas à teindre l’étoffe mais, d’une certaine manière, à peindre le décor, soit en cernant les motifs qui apparaissent après séchage et lavage en blanc sur fond noir, soit en dessinant le motif qui apparaît en noir sur un fond blanc, soit à remplir les vides d’un pochoir.

Les bogolans blancs à motifs noirs sont plus rares, plus délicats à exécuter et plus onéreux. Le dessin est obtenu en déposant l’argile à l’aide d’une baguette en bois ou d’une tige en métal, sur la toile teinte en jaune. Une fois le trait du dessin sec, il devient noir et se détache sur un fond encore jaune qui peut être éclairci et donner un marron clair ou bien blanchi à l’aide de soude caustique ou de savon. Portés autrefois majoritairement par les femmes, ils sont réservés aux occasions solennelles.

Les bogolans à fond sombre, noir ou brun noir et motifs blancs sont les plus courants. Le motif n’est pas dessiné : il est délimité par la boue qui, une fois sèche, noircit entièrement le fond de la toile, ne laissant apparaître en jaune que le motif. Après un lavage a l’eau savonneuse, éventuellement additionnée d’un produit plus agressif comme la soude caustique, la couleur jaune disparaît et le motif se détache parfois presque plus blanc que blanc. Les aficionados  apprécient un entre deux : un blanc plutôt cassé, plus naturel, plus élégant

Moins courants, le bogolan rouge, coloré à base d’une décoction de feuille et de  Ngaba, sorte de raisin sauvage, est porté par les chasseurs et les paysans, par goût et ou par commodité, car moins salissant au contact des sols en latérite. 

LES OUTILS

Bien que rudimentaires ils sont l’essence même de la réussite du projet. Pour les dessins minutieux, une baguette de bois à la pointe assouplie en l’écrasant avec une pierre ou en la mâchant. Pour les lignes droites, une tige en métal, un petit bâton en bois souple, un stylet ou un calame plus ou moins fin.  Pour les courbes, un stylet en métal et, pour les surfaces plus une spatule en bois ou en métal.     

DU DESSIN SYMBOLIQUE AU MOTIF DECORATIF

Naïfs ou géométriques, les dessins sont inspirés de la nature et de la vie quotidienne des artisans.

UN RECIT TOUT EN GEOMETRIE VARIABLE

Chaque graphisme géométrique constitue un fragment d’histoire et, juxtaposés, ces motifs délivrent un message faisant références à des événements réels ou mythiques, que seuls les initiés sont en mesure de déchiffrer. Pour le commun des mortels, ces dessins n’ont qu’un rôle décoratif.

L‘ACCULTURATION DU GENRE

Depuis les années 80, sous l’impulsion d’une nouvelle génération de créateurs   africains dont un des plus célèbre fut Chris Seydou, le renouvellement du style  du bogolan fut une réussite qui perdure encore en 2022. Ils ont revalorisé la tradition du tissage et de la teinture à la boue, sauvant pour un temps, cet artisanat en délaissant les drapés au profit des vêtements coupés cousus et  imprimés industriellement.

LOIN DES YEUX, PROCHE DU CŒUR 

Si loin de son Afrique natale, le bogolan a perdu sa valeur symbolique. Il demeure un signe identitaire fort, même si les dessins n’ont plus vocation à être décodés. Le bogolan apporte une note ethnique à la décoration des intérieurs occidentaux et, surtout, il perpétue une tradition textile qui risquait de disparaître à cause du nombre de plus en plus réduit d’artisans capables de maitriser la technique, et de la raréfaction de la clientèle.  

RE-INTERPRETATION DU BOGOLAN  : UN PARI GAGNÉ 

Jadis conçu comme accessoire marquant une appartenance à un clan, il est devenu un moyen d’expression artistique, dépassant la notion de patrimoine « Chaque art a son langage propre, c’est-à-dire des moyens qui n’appartiennent   qu’à lui « Kandinsky. Des artistes peintres ont réussi à faire entrer le bogolan dans le monde des beaux arts en transmettent un pan de leur culture avec un simple roseau trempé dans une boue ferrugineuse sur un support de coton jaune. Alors qu’importe la symbolique, puisque la puissance de la terre s’expose sur les murs des musées pas uniquement ethnographiques, des galeries internationales. Le bogolan  ne se contente plus d’enrichir les collections des musées ethnographiques, il a su séduire un public plus large, comme le prouve son succès dans la décoration d’intérieur.

Ecrire, c’est un peu tisser : les lettres, en un certain ordre assemblées, forment des mots qui mis bout à bout, deviennent des textes. Les brins de fibres textiles maintenus ensemble par torsion forment des fils qui, en un certain ordre entrelacés, deviennent des tissus…Textile et texte, un tête à tête où toute ressemblance n’est pas fortuite. Il est des civilisations qui transmettent leur culture par l’écriture, d’autres par la parole, d’autres encore, par la parole écrite avec un fil. Entre le tissu et moi, c’est une histoire de famille. Quatre générations et quatre manières différentes de tisser des liens intergénérationnels entre les étoffes et les « textilophiles ». Après ma formation à l’Ecole du Louvre et un passage dans les musées nationaux, j’ai découvert les coulisses des étoffes. Avec délice, je me suis glissée dans des flots de taffetas, avec patience j’ai gravi des montagnes de mousseline, avec curiosité j’ai enjambé des rivières de tweed, pendant plus de 35 ans, au sein de la société De gilles Tissus et toujours avec la même émotion. J’eus l’occasion d’admirer le savoir-faire des costumiers qui habillent, déguisent, costument, travestissent les comédiens, acteurs, danseurs, clowns, chanteurs, pour le plus grand plaisir des spectateurs. J’ai aimé travailler avec les décorateurs d’intérieurs toujours à la recherche du Graal pour leurs clients. Du lange au linceul, le tissu nous accompagne, il partage nos jours et nos nuits. Et pourtant, il reste un inconnu ! Parler chiffon peut parfois sembler futile, mais au-delà des mots, tissu, textile, étoffe, dentelle, feutre, tapisserie ou encore broderie, il est un univers qui gagne à être connu. Ainsi, au fil des ans les étoffes sont devenues des amies que j’ai plaisir à vous présenter chaque mois sur ce blog de manière pédagogique et ludique. Je vous souhaite une belle lecture.

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