LES CHEMINS DE TRAVERSE DES FIBRES DE COTON ET DE LIN  

Les fibres de coton et de lin, produits phares de l’industrie textile, sont à la fois proches par leur origine et éloignées par leur réactions comportementales.

Le saviez vous? Le coton, avant d’être filé, se présente sous la forme de bourre blanche et soyeuse entourant les graines nichées au creux des « capsules »,  fruits du cotonnier. La douceur, la souplesse et la polyvalence sont les qualités intrinsèques associées à cette fibre. Le prix accessible des articles en coton joue en sa faveur et le rend populaire à travers le monde.

La fibre de lin est une fibre libérienne extraite de la tige d’une plante baptisée linum usitatissimum. La solidité, le confort et l’étrangeté de son allure sont les points forts de la fibre de lin.  Avec une  production plus restreinte à l’échelle mondiale que celle du coton, les articles en lin sont moins accessibles pécuniairement au plus grand nombre.

LA BOITE A OUTILS

Puisqu’un simple coup d’œil, même professionnel, ne suffit pas toujours à différencier un tissu en coton d’un tissu en lin,  j’ai sorti de mon escarcelle des astuces simples et ludiques. Quelques manipulations lèveront le voile sur leur fonctionnement. Préparez trois échantillons de toile de lin et de toile de coton, une boîte d’allumettes, une paire de ciseaux et une loupe, mieux encore, un compte fil et un peu d’eau. 

Le saviez vous? Ce matériel ne servirait à rien si la sensibilité humaine n’avait pas un rôle dans cette expérience. L’être humain possède une panoplie d’outils d’une incroyable fiabilité : la vue, le toucher, l’ouïe. Il suffit de les aiguiser pour percer les secrets de ces deux magnifiques plantes textiles.

ACTIONS-REACTIONS 

1. La vue : de la sobriété du coton à la désinvolture du lin  

Le coton :  retirez un fil de l’échantillon et observez le attentivement. Pour une qualité basique, la surface est légèrement poilue, ce qui n’est pas le cas pour les cotons peignés.  

Le test :  essuyez un verre avec un morceau de toile de coton. Il reste sur les parois des traces indésirables. Pourquoi ? Parce que les fibres de coton sont généralement assez courtes et barbues ; elles ont tendance à s’effilocher pendant les manipulations, laissant des peluches microscopiques sur les parois du verre.

-le diamètre des fils, qu’il soient épais ou fins, est constant, la surface régulière, sans grand relief : c’est le calme plat. L’aspect et la qualité d’une cotonnade sont fonction de l’origine et de la longueur des fibres sélectionnées, de l’armure choisie et du nombre de fil au cm2. Ces chiffres, souvent mis en exergue pour le linge de maison sont rarement indiqués pour les vêtements,  dommage ! Avec un compte faible, les fils sont espacés, le tissu manque de ressort, il est plus fragile mais plus léger. Inversement, avec un nombre élevé de fils  le tissage est serré, tonique, « il a une belle main » ;  il est solide et plus lourd. Le choix est évidemment lié à la destination du produit fini. Un repère ? La densité d’un drap de coton la plus fréquente est de 57 fils au cm2.  Avec une densité de 85 fils au cm2 la qualité du drap est excellente et, au delà de 140 fils au cm2, c’est le grand luxe.

Le lin : observez  un fil. Il est lisse, il se tient bien. Essuyez un verre avec l’échantillon de lin : les parois sèchent sans difficulté et sans trace. Pourquoi ?  Grâce à l’absence de peluches. Un torchon en lin ou en métis (lin et coton) est donc idéal pour essuyer les verres.

Observez  la surface de l’échantillon : elle est  cabossée comme un chemin aux pavés mal joints. Pourquoi ? Parce que le diamètre des fils est irrégulier.  En cause, des sur-épaisseurs qui se forment à la jonction des extrémités des segments de fibres mis bout à bout pour obtenir un fil continu. La quantité de ces bosses, nœuds, ou grains est liée à la qualité des fibres utilisées. Plus elles sont longues, plus le diamètre du fil sera régulier et plus la surface sera plane. Une singularité que les toiles de lin partagent avec la soie sauvage. On aime ou on déteste le lin, mais son caractère rebelle fait partie de son charme, c’est son ADN. 

L’irrégularité du diamètre des fils de lin est un avantage pour les vêtements et les draps. Grace à un relief même minime, l’étoffe n’entre pas en contact direct avec la surface de la peau et l’espace ainsi créé permet la circulation de l’air : c’est une climatisation naturelle. Les tissus en lin ne collent pas sur la peau même et surtout en cas de transpiration, ils offrent  un confort  naturel, sans technique, sans ajout chimique. J’aime le lin pour sa texture extravagante et son authenticité.

La manipulation : froissé, chiffonné ou cassé ?

Tout est question d’élasticité. Froisser est un terme polyvalent, chiffonner est plus spécifique ; il fait référence à ces plis plus fins, plus approprier aux cotonnades. Pour les tissus en lin, le terme adéquat est casser.

Le coton : triturez l’échantillon sans scrupule au creux de votre main puis ouvrez la :  le tissu a changé d’aspect : il est froissé voire chiffonné en fonction de son épaisseur, il se déplie lentement avec une certaine souplesse, voir une mollesse. Pourquoi? Parce que  la fibre de coton ressemble à un ruban plat en forme d’hélice. Cette torsion naturelle confère une certaine élasticité au fil qui plie mais ne casse pas. La qualité des fibres employées pour fabriquer les fils et le type d’armure a, à l’évidence, une incidence sur le comportement du tissu mais, le client n’étant pas dans la confidence, n’hésitez pas à toucher, à manipuler le tissu ou le vêtement avant un achat pour juger de son comportement à l’usage. 

J’aime le coton pour sa sobriété, sa souplesse, sa simplicité, son exquise gamme colorée qui se révèle parfois comme une gourmandise, mais aussi pour sa versatilité, puisque de toile de bâche, il peut aller jusqu’à devenir un précieux damassé.

Le lin :  manipulez la toile au creux de votre main, puis ouvrez la et observez la réaction : les plis sont marqués, comme une feuille de papier que l’on aurait pliée. Pourquoi ? Parce c’est une fibre libérienne, c’est-à-dire contenue dans la tige qui se doit d’être solide, d’où cette rigidité naturelle qui entraine des cassures plus que des plis ronds. Cet inconvénient n’est, toutefois, pas irréversible. Il suffit d’humidifier l’étoffe pour que les fils reprennent leur forme initiale ou presque, parfois un repassage s’avère nécessaire. L’entretien d’un article en lin est considéré comme un inconvénient majeur pour ses adversaires et l’argumentaire commercial favori de mettre en avant le froissé chic du lin n’est pas fait pour les convaincre. 

Le saviez vous ? Le choix de l’armure a une incidence sur le comportement d’un tissu. Sachez qu’une toile sera plus sujette aux plis qu’un sergé ou un chevron.

L’eau et l’air : question de tempérament !   

Ces deux fibres sont « respirantes », ce qui signifie que l’air les traverse, favorisant  l’aération et la ventilation du vêtement et régulant naturellement la température corporelle. Mais elles inspirent et expirent à leur rythme : lent pour le coton, rapidement pour le lin.

Le coton

La fibre aime l’eau, peut être même trop, parce que la plante a besoin d’une grande quantité d’eau pour que les capsules arrivent à maturité et s’ouvrent pleine à craquer de cette ouate blanche qui, après traitement, donnera un fil. La toile n’absorbe pas la goutte immédiatement ; elle persiste quelques minutes à la surface alors que se forme lentement, tout autour, un cercle humide jusqu’à son absorption complète. Pourquoi? Parce que le fil de coton est poreux et sa paroi mince peut absorber l’humidité ambiante lentement et l’emmagasiner. Il la libèrera tout aussi lentement, ce qui implique qu’un vêtement en coton mouillé devient lourd. C’est un inconvénient quand  le tissu est en contact direct avec la peau et absorbe la transpiration : il reste humide, lourd et colle à la peau suffisamment longtemps pour provoquer un effet désagréable entraînant parfois une sensation de froid. Ce qui est considéré comme un inconvénient, devient une qualité puisque le coton a une bonne affinité tinctoriale

Le saviez vous ? La  mécanisation de la production textile au cours de la révolution industrielle au XVIIIe siècle a été à l’origine du développement de la production de coton. Avant l’invention de la machine à égrener le coton en 1793, la fibre n’était pas blanche mais marron ou verte à cause de la présence plus ou moins importante des graines qui étaient diversement colorées. 

Le lin

La goutte d’eau s’étale rapidement sur la surface du tissu. Pourquoi ? Parce que le fil de lin a une excellente capacité d’absorption bien qu’il n’emmagasine pas cette humidité qui est libérée rapidement. Un vêtement en lin ne se gorge pas d’eau, il  conserve sa légèreté, sèche vite ce qui est un gage de confort en période de forte chaleur et pour les personnes qui transpirent beaucoup. 

Ce qui apparait comme un avantage  peut devenir un inconvénient lorsqu’il s’agit de teinture. La paroi de la fibre étant épaisse, la teinture atteint difficilement le cœur de la fibre. 

Le saviez vous ? En coupant un lin de couleur sombre, le cœur du fil est plus clair que sa surface, c’est un moyen de reconnaitre un article en lin.  

Un conseil :  suspendez  un article en lin sur un cintre dans votre salle de bains à proximité de la douche ou de la baignoire, l’humidité ambiante suffira à lui rendre son aspect initial, les plis disparaîtront prêts à repartir sans l’intervention d’un fer à repasser. Dans un climat chaud et humide, le lin est idéal : il est confortable et s’entretient tout seul.

Le feu : le  coton se consume plus rapidement que le lin

Le coton

Approchez la flamme de l’allumette de la toile de coton : elle est grande et dévore  rapidement le tissu. Stoppez la flamme avant que tout ne soit détruit car le coton brûle comme du papier sans odeur particulière. Le tissu brûlé est noirci même si, à l’origine, il était rouge et le bord, une fois la flamme éteinte, brun et régulier, laissant des résidus à peine palpables.

Le lin 

Approchez la flamme de l’échantillon. Ne vous pressez pas d’éteindre la flamme, le tissu brûle plus lentement. Soufflez pour éteindre et observez : la partie qui a été brulée n’a pas complètement disparue, ce n’est plus qu’une forme grisâtre qui représente le squelette de l’étoffe disparue, Curieusement, on retrouve la forme et les dimensions de la partie brûlée tel un fragile fantôme qui peut disparaître au moindre souffle.

2. L’OUIE : DU CHANT  AU RÂLE

Le coton  

Entaillez l’échantillon avec une paire de ciseaux puis prenez les deux parties et tirez d’un seul coup afin de séparer le tissu en deux. La déchirure est rapide, le tissu se sépare en droit fil et le bruit est clair, sec, presque strident. Pour un tissu épais, le bruit sera plus sourd. On peut le comparer au son d’une clarinette ou d’un tuba selon la consistance du tissu.

Le lin

Entaillez l’échantillon et tirez pour le déchirer  C’est  difficile, voire impossible.

Pourquoi ? Parce que les fils de lin étant plus irréguliers, ils ne cèdent pas aisément à la traction et une déchirure « propre » suivant le droit fil est impossible, les bords du tissu seront toujours irréguliers, effilochés. Le bruit est étouffé, faible et poussif. C’est l’équivalent du son d’un trombone.

Le saviez vous ? Ceci est un moyen infaillible de différencier le lin du coton : Si, dans un magasin de tissus, le vendeur ou la vendeuse entaille et déchire d’un geste sec le tissu, il ne s’agit pas de lin pur mais, dans le meilleur des cas, d’un mélange.  

3. LE TOUCHER : TOUT EN SUBTILITÉ

Le coton

Posez votre main sur le coton. La chaleur de la main suffit à chauffer la surface de l’étoffe. Selon la longueur des fibres, le procédé de filature, la qualité du coton, vous sentez sous les doigts une surface lisse ou duveteuse. 

Le saviez vous ? L’ennoblissement peut modifier les sensations tactiles. Dans la main, une toile de coton basique est quasiment neutre, naturelle tout au plus. Par contre, dès que l’on touche une toile de coton plus sophistiquée, c’est-à-dire revue et corrigée par la technique et la chimie, la main est capable de percevoir les subtilités qui lui octroient une brillance accrue, un grain ou une raideur artificielle. 

La fibre de coton est tellement répandue sur la planète qu’elle peut sembler au premier abord insignifiante. Pourtant, il faut savoir qu’il y a coton et coton. Si l’on sait faire la différence, on entre alors dans le cercle des Tissus Addicts.

Le saviez vous ? Une  fabuleuse qualité de coton pousse sur l’île de Socotra au large des côtes du Yemen. Cultivée,  filée et tissée localement selon des techniques ancestrales, ce coton de mer est doté de fibres d’une longueur inhabituelle et d’une extraordinaire finesse. Ces critères lui ont valu l’obtention par l’U.E. de l’indication IGP (Indication Géographique Protégée) qui en fait le plus luxueux, le plus rare et le plus cher coton du monde, loin devant le fameux coton égyptien gossypium barbadense, plus connu sous les appellations coton Jumel ou Giza 45. 

Le lin

Posez votre main sur l’échantillon : il  reste froid. Pourquoi ? Parce qu’il est bon conducteur de chaleur.  Par conséquent, la chaleur de votre main n’a pas d’incidence. Comme avec l’eau, la chaleur traverse le tissu qui ne la conserve pas.

Dans la main, le lin a une présence, une texture, une intensité qui en fait une matière tangible. Sa surface granuleuse et irrégulière est singulière, parfois riche, mais toujours reconnaissable.

Le saviez vous ? Une personne habituée à manipuler les tissus, pourrait différencier le lin du coton les yeux bandés. Pour moi le lin irlandais est comme un intrus dansa le monde des étoffes. Sa production est localisée et peu abondante. Ses fibres blanches, fines, d’une longueur inhabituelle, procurent au tissu une luminosité et un éclat qui transparait sous la teinture. Tout en conservant une allure rebelle, la douceur perce imperceptiblement, cette  étoffe cajole la peau. Souvent tissé en armure sergé, ce qui la rend plus malléable, elle présente une texture inhabituelle. Ces spécificités en font un produit de luxe rarement vendu au mètre dans les magasins de tissus. 

Le lin est, avec la ramie, la fibre textile la plus ancienne utilisée par l’homme. Sa production, plus faible  que celle du coton, explique son prix plus élevé que ce dernier. 

LES ENNOBLISSEMENTS

Il s’agit des apprêts destinés à transformer les qualités intrinsèques d’une fibre. Ils faussent la donne des expériences précédentes, c’est pourquoi je vous les soumets sommairement.

Les tissus de cotons sont commercialisés sous des aspects très différents : brillant, glacés, duveteux, imperméables, easy-care en fonction de la mode. Les tissus coton et  polyester sont très présents sur le marché, recherchés pour leur facilité d’entretien. 

Les tissus de lin font rarement l’objet d’ennoblissement et même de mélanges car le lin naturel se suffit à lui même. Les amateurs de lin sont souvent des adeptes de la fibre qui recherchent le confort et le coté naturel.
Le saviez vous ? Les lins sont rarement mélangés avec la laine, sans doute une réminiscence des lois bibliques qui interdisaient le mélanges des fibres végétales et animales, mais les  tisseurs italiens ont transgressé ces lois proposant des tissus sublimes.

Le mélange lin/ polyester est, selon moi, une erreur. Pourquoi éliminer ce qui fait son « excentricité » et faire rentrer dans le rang des étoffes insipides un trésor de la nature ?

Il existe des toiles de lin enduites ou imperméabilisées chimiquement qui sont des produits intéressants dont on fait des nappes ou des imperméables légers.

Pour diversifier leur clientèle, les industriels sont tentés par les ennoblissements du lin. Une fibre peut en cacher une autre par exemple, en tissant une toile avec des fils de coton irréguliers dont l’aspect se confond à dessein avec un fil de lin.

En écrasant la fibre avec des rouleaux industriels, on obtient un  lin lustré qui  a la brillance d’une soie. Les lins lavés ont trouvé leur public et le succès commercial en est la preuve mais, comme les blues jeans « used », industriellement vieillis par des lavages successifs, leur longévité est compromise.

Vous voilà en mesure de distinguer les tissus en coton des tissus en lin, de les apprécier pour leurs spécificités et d’envisager sereinement vos prochains achats. 

Ecrire, c’est un peu tisser : les lettres, en un certain ordre assemblées, forment des mots qui mis bout à bout, deviennent des textes. Les brins de fibres textiles maintenus ensemble par torsion forment des fils qui, en un certain ordre entrelacés, deviennent des tissus…Textile et texte, un tête à tête où toute ressemblance n’est pas fortuite. Il est des civilisations qui transmettent leur culture par l’écriture, d’autres par la parole, d’autres encore, par la parole écrite avec un fil. Entre le tissu et moi, c’est une histoire de famille. Quatre générations et quatre manières différentes de tisser des liens intergénérationnels entre les étoffes et les « textilophiles ». Après ma formation à l’Ecole du Louvre et un passage dans les musées nationaux, j’ai découvert les coulisses des étoffes. Avec délice, je me suis glissée dans des flots de taffetas, avec patience j’ai gravi des montagnes de mousseline, avec curiosité j’ai enjambé des rivières de tweed, pendant plus de 35 ans, au sein de la société De gilles Tissus et toujours avec la même émotion. J’eus l’occasion d’admirer le savoir-faire des costumiers qui habillent, déguisent, costument, travestissent les comédiens, acteurs, danseurs, clowns, chanteurs, pour le plus grand plaisir des spectateurs. J’ai aimé travailler avec les décorateurs d’intérieurs toujours à la recherche du Graal pour leurs clients. Du lange au linceul, le tissu nous accompagne, il partage nos jours et nos nuits. Et pourtant, il reste un inconnu ! Parler chiffon peut parfois sembler futile, mais au-delà des mots, tissu, textile, étoffe, dentelle, feutre, tapisserie ou encore broderie, il est un univers qui gagne à être connu. Ainsi, au fil des ans les étoffes sont devenues des amies que j’ai plaisir à vous présenter chaque mois sur ce blog de manière pédagogique et ludique. Je vous souhaite une belle lecture.

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