Le Damassé, un tissu de prestige

Damassé est le terme générique qui désigne les tissus utilisés pour le linge de table et dont les dessins sont le résultat d’une juxtaposition des effets de chaîne et des effets de trame.

Les tissus damassés de lin sont agrémentés de dessins simples obtenus par tissage apparaissant en Europe à la fin du du XIVe siècle. Les premiers lins damassés étaient réalisés sur des métiers à la tire, le but étant une imitation du décor floral inspiré des damas de soie italiens. Le résultat était une étoffe plus légère et moins luxueuse. Au XIXe siècle, l’invention du métier Jacquard permit d’obtenir des dessins plus grands.

À L ORIGINE

La soie était à l’honneur dans les damas, tissu prestigieux s’il en fut. Sa spécificité était la juxtaposition de surfaces monochromes brillantes et de surfaces mates. Le regard passait ainsi de l’ombre à la lumière rappelant le travail des damasquineurs qui maitrisaient l’art et la manière s’enchâsser un fil d’or, d’argent ou de cuivre sur une surface métallique pour créer un effet décoratif. Cette technique originaire de la ville de Damas est donc la source de l’étymologie de ces mots.

Tissu Damas Monsigny – Lelièvre

AUJOURD’HUI

Si les damas de soie avaient de multiples utilisations, à la fois vestimentaires et décoratives, les tissus « damassés » ont depuis le XVIe siècle traversé les modes en conservant ce genre très particulier d’articles textiles désignés comme « linge de table ». 

L’ENVERS DU DECOR

Il n’y a en fait ni endroit ni envers dans un damassé, c’est un tissu qui, comme les damas, est réversible. Il est caractérisé par des motifs inversés, brillants sur une face, mats sur l’autre. 

Les effets monochromes sont mats du fond et les dessins sont brillants. Les motifs peuvent être rendus plus brillants par calandrage. Les dessins qui apparaissent sont obtenus par des armures de sergé ou de satin effets de chaîne qui travaillent en opposition avec des armures de sergé ou de satin effets de trame, de même rapport, en formant le fond qui est ainsi plus mat. Les effets d’armure sont donc incorporés au décor. C’est une imitation en lin ou coton des damas de soie.

UNE OU DEUX ? 

Si la plupart des damassés sont monochromes, certains peuvent être bicolores : une couleur pour le fil de trame et une autre pour le fil de chaine. Le damassé fut longtemps utilisé pour recouvrir les matelas ; il était gris et blanc ou rose et blanc avec des motifs floraux ou géométriques. Son nom ? la fameuse toile à matelas ! Mais pour les damassés qui servaient de linge de maison et qui devaient bouillir sans déteindre, le blanc était privilégié.  

VENISE / BRUGES

La spécificité des premiers damassés résulte de deux éléments principaux : la matière textile qui est le lin particulièrement abondant dans cette région et la technique, celle du damas. Les velours de soie et les damas italiens pénétraient dans le pays flamand par le port de Bruges qui, au XIVe siècle, était le plus important d’Europe du nord. Or, c’est dans la petite ville de Courtrai, qui n’était pas très éloigné de ce centre de commerce international, que s’établit le premier atelier/magasin de lin damassé. La matière première, le lin, était récolté et tissé sur place.  

UNE PRODUCTION FLAMANDE AUTONOME

De fil en aiguille, les artisans flamands copièrent les motifs des damas de soie venus d’Italie en utilisant, non pas la soie, mais le lin puis, deux siècles plus tard, passés maîtres dans la technique du damassé, ils se libérèrent de leurs liens avec les motifs des damas italiens et imaginèrent leur propre vocabulaire ornemental.  

LE SUCCES COMMERCIAL BOOSTE LA CULTURE DU LIN

Les surfaces occupées par la culture du lin s’étendent et le nombre de champs dévolus à l’étendage du lin s’accroît, les toiles devant être exposées à la lumière à l’air et à la rosée pour assurer leur blanchiment.

LES DAMASSES HISTORIES

Entre le XVI et le XVIIIe siècle la production de lin damassé historié fut très importante et les quelques linges damassés qui ont traversé les siècles sont aujourd’hui des sources de documentation importantes  pour les historiens. En effet, les dessins illustrent des évènements importants tel des mariages princiers de Philippe V et de Marie Louise  Gabrielle de Savoie, ou commémorent des victoires. Comme les tapisseries, ces tissus étaient des commandes passées aux tisserands par les grands du royaume (rois, princes ou encore évêques…). Dates ou inscriptions sont de précieux points de repères. Ces tissus de prix, souvent des cadeaux de mariage, sont conservés précieusement au sein des familles et transmis de génération en génération, comme le furent au XIXe siècle les châles cachemires. 

LA PRODUCTION FRANÇAISE RENOUVELLE LE VOCABULAIRE DÉCORATIF

La production française se différencie des damassés flamands par le choix des motifs, délaissent l’histoire pour des sujets plus populaires piochés dans le vocabulaire de la rue : fleurs, personnages, animaux, dessins géométriques.

C’est à Reims et à Caen, au XVIe siècle, que les premiers damassés sont fabriqués en France. La qualité était si belle que la production des ateliers de Caen rivalisa avec les productions de Venise et des Flandres. Cette distinction donna une impulsion commerciale aux damassés qui, au XVIIe siècle, étaient devenus d’un usage presque courant, non plus réservé à quelques nobles familles.  

LES CONSEQUENCES DE LA REVOCATION DE L’EDIT DE NANTES SUR LA PRODUCTION TEXTILE EN EUROPE

Au XVIIe siècle, nombreux furent les huguenots qui, chassés de France, allèrent s’établir dans des terres plus accueillantes et en particulier, en Hollande, en Angleterre, en Irlande, en Allemagne et en Suisse ; ils apportaient avec eux leur expérience dans la fabrication des lins damassés et du travail de la soie. C’est ainsi que des damassés produits à l’étranger par ces expatriés alimentent le marché français On raconte que lorsque madame de Maintenon voulut créer une manufacture de linge ouvré en 1682, elle fut dans l’obligation de faire venir 25 ouvriers des Flandres.

NAISSANCE D’UNE NOUVELLE CORPORATION

Les mulquiniers se firent de plus en plus nombreux et se regroupèrent en corporation. Ils choisirent comme sainte patronne Véronique qui avait essuyé le visage du Christ avec un linge fin, analogue à la baptiste que fabriquait ces ouvriers.

Au XVIIe siècle, la qualité des productions françaises rivalisait avec les production étrangères, ce qui permit à des villes comme Saint Quentin, Bapaume, Douai ou Valenciennes de se développer économiquement.

TOUT FIL OU METIS

Autrefois, le linge damassé se fabriquait en fil, c’est-à-dire uniquement en lin. Pour s’adapter à une clientèle moins aisée, il était indispensable de diminuer le prix de revient et de nombreux fabricants ont présenté sur le marché des articles mi fils (coton/lin) ou entièrement en fil de coton. Plus cher mais plus résistant que le coton, le lin confère une longévité accrue aux produits.
On note que la production de linge damassé périclite au XVIIIe siècle dans certains pays, notamment aux Pays Bas. En cause la concurrence du coton, matière première dont l’usage se développe en Europe.

LINGE POPULAIRE

Il existait deux catégories de linge de table damassé :

-Le linge ouvré ou à dessins simples comprenant tous les dessins classiques, géométriques ou à croisure droite comme les damiers. Ces articles étaient accessibles financièrement au plus grand nombre.

-Le linge damassé qui comporte des dessins représentant des fleurs, des fruits, des personnages, des motifs décoratifs aux lignes courbes, des monogrammes. Ce second type exige une fabrication plus complexe, qui débute avec l’exécution du dessin que l’on désire reproduire, puis un second dessin spécial sur papier quadrillé ou la mise en carte. Cette carte sera plus ou moins compliquée puisqu’il faut imiter la nature sans avoir recours aux couleurs, avec de simples gradations dans les tons si tous les fils de chaîne et de trame du tissu damassé sont de la même couleur. La fabrication de ces damassés nécessite l’usage de la mécanique jacquard. 

LINGE PRINCIER

Des pièces d’exception étaient tissées généralement pour être offertes en cadeau, soit aux hôtes de prestige de passage dans les villes, soit en cadeau de mariage ou encore, pour les trousseaux destinées aux jeunes filles les plus fortunées du royaume.

LE DÉTAIL QUI FAIT LA DIFFÉRENCE

Les plus beaux damassés subissaient un traitement spécial. Afin de rendre plus lisible les motifs, ils devaient être rendus brillants et lisses grâce à un apprêt de finition :  le calandrage.

D’HIER A AUJOURD’HUI L’ENTRETIEN DU LINGE

Draps, serviettes, nappes, torchons ne passaient à la lessiveuse qu’une ou deux fois par an, autant dire que ces articles devaient être achetés par douzaine dans les familles qui en faisaient un usage courant. 

LE TROUSSEAU, UN BIEN PRÉCIEUX

Acheter un grand nombre d’articles en lin, préparer son trousseau, broder le linge constituait une grande dépense, demandait du temps et du savoir-faire. Ces points rendaient les articles encore plus précieux. Le linge en fil brodé se transmettait en héritage et, aujourd’hui encore, on peut trouver des draps ou des nappes qui datent du XIXe siècle, le lin étant une fibre d’une rare solidité et qui se bonifie au fur et à mesure des lessives.

UN PETIT CLIN D’ŒIL AU BON USAGE DU LINGE DE MAISON

Si on trouve des draps dans tous les foyers depuis longtemps, la nappe n’arriva que bien tardivement dans les maisons bourgeoises, la serviette de table fut un luxe avant de devenir un article tellement banal que plus personne n’y prête attention et pourtant, il a une histoire ce carré d’étoffe. Dans les inventaires du Moyen-Age, on trouve des serviettes grosses, serviettes communes, serviettes pleines ou unies, et des serviettes de fin lin à ramage de Reims ou de Caen. Cet accessoire joua un rôle important dans l’étiquette des cours.  

LA SERVIETTE, UN PRODUIT RARE

Sa généralisation eut lieu lorsque les convives cessèrent de s’essuyer les mains sur leurs vêtements ou avec la nappe, bien que son emploi ne fut pas systématique, dans tous les foyers.

Les romains se lavaient les doigts avec une eau de rose et de marjolaine et un serviteur passait auprès des convives avec une pièce d’étoffe pour leur permettre de se sécher les mains.

Certaines serviettes étaient si joliment ouvrées que les invités n’hésitaient pas à les voler à la fin du banquet. Parfois, des carrés d’étoffes devant servir à s’essuyer les mains étaient distribués aux invités qui, à la fin du repas, les utilisaient pour envelopper quelques friandises qu’ils emportaient chez eux.

LA NAPPE / SERVIETTE

La serviette était jadis un linge dépendant de la nappe qui était repliée sur les assiettes afin de les protéger de la poussière puis, une fois les invités assis, ce tissu était déplié sur leurs genoux. La serviette n’était pas individuelle, même si l’habitude était de manger avec ses doigts, en attendant l’arrivée tardive de la fourchette.

Parfois dans les maisons plus ordinaires, un grand morceau d’étoffe était plié en deux sur un bâton appuyé contre le mur et chacun pouvait à sa guise venir s’essuyer les mains.

Nappe Tivoli Damassé – Le Jacquard Français

ESSUIE MAIN / ESSUIE BOUCHE ?

Ne confondons pas les torchons et les serviettes. Jusqu’au Moyen-Age, on se lave les mains à table. Un serviteur passe auprès de chaque hôte avec un broc d’eau, une cuvette et un essuie-mains. Dans les foyers plus modestes, il y avait dans les les salles à manger, une petite fontaine murale avec un réservoir d’eau à côté duquel se trouvait une serviette. Chacun en faisait usage à sa convenance. La serviette ou touaille, fut d’abord un essuie-mains taillé dans des toiles grossières, probablement en chanvre puis, on en fit en coton et ensuite en lin fin damassé lorsqu’elle devient un essuie bouche coordonné aux nappes. Le lin damassé demeure un produit de luxe, alors que le coton fut utilisé pour les serviettes de bouche d’un usage plus quotidien avant d’être éclipsé par les serviettes en papier ! 

LA SERVIETTE DEVIENT INDIVIDUELLE

Jusqu’au XVIIe siècle, elle fut placée sur l’épaule ou sur le bras gauche, elle sera nouée autour du cou à cause des « fraises ». Avec ces énormes collerettes, il convient d’utiliser de grandes serviettes afin de préserver la blancheur de ces cols encombrants mais précieux.

Les modes changent : plus de fraise, plus de robes encombrantes et les dimensions des serviettes suivent le mouvement en se réduisant. Cependant, il faudra bien des générations pour que l’habitude de nouer sa serviette autour du cou disparaisse, pour les adultes en tous cas.

Je termine ce chapitre sur le damassé par une note «culture pop » 

L’usage de la serviette individuelle a marqué plus qu’on ne l’imagine notre mode de vie, jusqu’à donner lieu à une expression populaire : « joindre les deux bouts »

Pour attacher sa serviette autour du cou, il faut la nouer par les deux extrémités, exercice quelque peu périlleux pour certains. Aussi, l’expression relative à un équilibre financier précaire se traduit-il par « arriver ou ne pas arriver à joindre les deux bouts ». Les hommes s’adapteront aux habitudes des femmes qui posaient la serviette sur leurs genoux afin de protéger leur robe. Cependant, attention à la cravate qui n’est alors plus protégée. Certains objecteront avec justesse que la cravate se porte de moins en moins.

Ecrire, c’est un peu tisser : les lettres, en un certain ordre assemblées, forment des mots qui mis bout à bout, deviennent des textes. Les brins de fibres textiles maintenus ensemble par torsion forment des fils qui, en un certain ordre entrelacés, deviennent des tissus…Textile et texte, un tête à tête où toute ressemblance n’est pas fortuite. Il est des civilisations qui transmettent leur culture par l’écriture, d’autres par la parole, d’autres encore, par la parole écrite avec un fil. Entre le tissu et moi, c’est une histoire de famille. Quatre générations et quatre manières différentes de tisser des liens intergénérationnels entre les étoffes et les « textilophiles ». Après ma formation à l’Ecole du Louvre et un passage dans les musées nationaux, j’ai découvert les coulisses des étoffes. Avec délice, je me suis glissée dans des flots de taffetas, avec patience j’ai gravi des montagnes de mousseline, avec curiosité j’ai enjambé des rivières de tweed, pendant plus de 35 ans, au sein de la société De gilles Tissus et toujours avec la même émotion. J’eus l’occasion d’admirer le savoir-faire des costumiers qui habillent, déguisent, costument, travestissent les comédiens, acteurs, danseurs, clowns, chanteurs, pour le plus grand plaisir des spectateurs. J’ai aimé travailler avec les décorateurs d’intérieurs toujours à la recherche du Graal pour leurs clients. Du lange au linceul, le tissu nous accompagne, il partage nos jours et nos nuits. Et pourtant, il reste un inconnu ! Parler chiffon peut parfois sembler futile, mais au-delà des mots, tissu, textile, étoffe, dentelle, feutre, tapisserie ou encore broderie, il est un univers qui gagne à être connu. Ainsi, au fil des ans les étoffes sont devenues des amies que j’ai plaisir à vous présenter chaque mois sur ce blog de manière pédagogique et ludique. Je vous souhaite une belle lecture.

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